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8 octobre 2006

NUMERO 3

CINESCOPE 3

Edito...

Ouverture sur la ville américaine.

Nous avons décidé d’ouvrir une discussion concernant la ville dans le cinéma. La matière ne manque pas, puisque le cinéma est né peu de temps après les villes, les bourgs, les métropoles, les mégalopoles.

Il n’empêche : les différents points de vue sur la ville ouvre un vaste champs pour chercher à mettre en relation le passé et l’avenir. Ce lieu de regroupement humain peut être créé (le Western), étudié sous toutes les coutures, mais il peut être détruit. La destruction de la ville et ses conséquences est un des sujets, par exemple, de « La guerre des mondes » de l’étonnant Spielberg. Certains réalisateurs la projettent dans l’avenir, d’autres, comme Woody Allen, la contemple. Cet aspect du cinéma américain, en lien avec l’histoire de la construction des USA, a peut être été plus riche que d'autres catégories plus traditionnelles du cinéma européen .

Nous allons donc ouvrir largement les points de vue, ce qui va être également l’occasion de permettre à nos lecteurs de s’exprimer.

SOMMAIRE

« La vie n’imite pas l’art mais la mauvaise télévision » Woody Allen Page 1

Mulholand Drive : la ville des deux cotés du miroir. Page 8

Blade Runner de Ridley Scott. Page 10

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8 octobre 2006

« La vie n’imite pas l’art mais la mauvaise

« La vie n’imite pas l’art mais la mauvaise télévision »

La fiction et la réalité, l’art et la vie s’entremêlent dans deux films majeurs de Woody Allen, Annie Hall et Manhattan. Au-delà de la comédie, peut-on y voir la façon dont le réalisateur conçoit l’influence de l’art sur la vie et la place particulière de New York dans la vie intellectuelle américaine ?

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« On apprécie vos films, surtout les films drôles du début. »

(un martien dans Stardust Memories)

Woody Allen n’est pas de ces cinéastes dont les cinéphiles cultivent le culte underground d’œuvres de jeunesse confidentielles. Sa trajectoire en est l’exacte opposée : il va conserver la jubilation de ses premières comédies potaches pour en faire le liant d’œuvres plus exigeantes. Hautement autobiographiques mais usant de l’alibi de la comédie pour déjouer toute accusation de velléités prétentieuses, Annie Hall et Manhattan illustrent cette difficulté d’associer les contingences du monde dans lequel il vit, sa condition de comique de télévision, et sa conception de l’art. Une évolution en germe dans certaines de ses premières œuvres, dans lesquelles l’influence de l’art sur la vie est déjà présente.

Dans sa pièce Play it again, Sam, adaptée à l’écran par Herbert Ross en 1972 sous le titre français Tombe les filles et tais-toi, le personnage de Woody Allen a déjà recours aux services d’Humphrey Bogart pour séduire Diane Keaton, l’amie de son ami. Le ressort comique réside dans le décalage entre Bogart, qu’il est bien sûr le seul à voir et entendre (« tu es aussi nerveux que Lizabeth Scott juste avant que je lui fasse éclater le cerveau ») et Allen, binoclard chétif, peureux et angoissé, ce anti-héros qui traversera la plupart de ses films, tantôt au premier tantôt au second plan mais toujours désespéré que la vie ne soit pas aussi grandiose et miraculeuse que l’art. Avec cette honnête comédie sentimentale, Woody Allen se rapproche du ton qui sera celui de ses grandes réussites, mais l’heure n’est pas encore venue. Formé à la télévision, on attend surtout de lui qu’il transpose ses recettes de gagman au cinéma : ses quatre premiers films relèvent ainsi plus de la succession de sketchs burlesques et décalés, fourmillant de références à l’actualité et aux médias de l’époque, et ont malheureusement un peu vieilli. Guerre et Amour, son cinquième film sorti en 1975, s’il s’inscrit dans cette continuité, fait toutefois preuve de plus d’ambition en matière de scénario et de références. L’action se déroule en Russie pendant les guerres napoléoniennes et si elle est le prétexte à des anachronismes en tous genres, comme dans Woody et les robots tourné l’année précédente, elle permet aussi à Allen de rendre hommage à la littérature russe du XIXème siècle. Secrètement et éperdument amoureux de sa cousine Diane Keaton, le moindre échange de la vie quotidienne conduit invariablement à une discussion philosophique et théologique sans fin mais il n’arrive pas à susciter en elle ces violentes passions au sein desquelles relations humaines et événements politiques s’entrechoquent. On entrevoit une fois encore ce dépit de ne pouvoir calquer la vie sur l’art, mais la révélation s’annonce, elle s’appelle Annie Hall.

« Un film sur moi »

« Lorsqu’Arthur Krim [patron de la United Artists] entendit le titre pour la première fois, il s’avança vers la fenêtre et menaça de sauter » rapporte Marshall Brickman, cosignataire des scénarios d’Annie Hall (1977), Manhattan (1979) et Meurtre mystérieux à Manhattan (1993). Woody Allen a en effet décidé d’intituler son prochain film Anhédonisme, qui désigne en psychiatrie l’incapacité à ressentir du plaisir. « Un film sur moi. Ma vie, mes pensées, mes idées, mon cadre de vie » : c’en en effet fini des comédies potaches. 

Ce film, s’intitulera finalement Annie Hall du nom du personnage interprété par Diane Keaton. C’est son premier film « réaliste » en ce sens que le spectateur identifie directement son quotidien et ses préoccupations à ceux du personnage de Woody Allen, sans métaphore ni décalage aucuns. L’histoire d’amour entre Annie Hall (Diane Keaton), jeune écervelée superficielle et ridicule, et Alvy Singer (Woody Allen), quarantenaire new-yorkais auteur de sketchs pour la télévision, dégoûté par l’abêtissement de ce milieu et obsédé par la mort, et surtout les désillusions de cette liaison vouée à l’échec, constituent pour Alvy un terreau fertile de remises en questions. C’est l’insignifiance d’Annie et l’incapacité d’Alvy à donner à leur relation ce caractère à la fois absolu et épuré auquel il aspire qui lui permettent de se pencher sur des questionnements profonds : le décalage entre la vacuité de sa relation et l’intérêt qu’il porte à l’analyser, comme si le sens de la vie résidait justement dans l’analyse de son absence de sens.

Paradoxalement, Woody Allen use dans ce film réaliste de toute la palette d’artifices narratifs que lui offre le cinéma : introduction d’Alvy adulte dans une scène de son enfance (employé par Ingmar Bergman dans Les Fraises sauvages), sous-titrage des pensées d’Alvy et Annie lorsqu’ils bavardent durant la scène du balcon, séquences d’animation, interpellation du spectateur et apparition de personnalités dans leurs propres rôles. Ainsi une des scènes les plus réussies se déroule alors qu’Alvy et Annie sont dans la file d’attente d’un cinéma. Derrière eux, un couple dont l’homme expose à sa compagne ses réflexions sur le cinéma :

Alvy (à Annie) Il me postillonne dans le cou quand il parle. Ca doit être leur 1er rendez-vous. Par petite annonce dans le

New York

Review of Books. « Universitaire, trentaine, cherche femme aimant Mozart, James Joyce et la sodomie. »

L’homme (à sa voisine) C'est l'influence de la télévision. Marshall McLuhan[1][1][1] traite du sujet avec une intensité... très forte. Tu vois ce que je veux dire ?

Alvy (sortant de la file et s’adressant à la caméra) Donnez-moi un grand sac plein de crottin. Que faire lorsque vous vous retrouvez dans une queue avec un type comme ça ?

L’homme (rejoignant Alvy et s’adressant à la caméra) J'ai le droit de donner mon opinion.

On est en démocratie.

Alvy (à l’homme) Ca ne vous gêne pas de parler si fort, de pontifier de la sorte ? Le plus drôle est que vous ne connaissez rien à Marshall McLuhan.

L’homme (à Alvy) Vraiment ? Sachez que j'enseigne à l’Université Colombia un cours intitulé Télé, médias et culture. Je pense que mes opinions sur McLuhan sont plus que pertinentes.

Alvy (à l’homme) Vous croyez ? Ca tombe bien parce que M. McLuhan est là justement. Permettez-moi... Venez par ici.

[Alvy sort du champ et revient accompagné de Marshall McLuhan en personne]

McLuhan (à l’homme) Je vous ai entendu. Vous ne connaissez rien à mon oeuvre. Je me demande par quel miracle vous êtes devenu enseignant.

Alvy (à la caméra) Si seulement la vie était comme ça !

On retrouve dans cette scène plusieurs traits caractéristiques de Woody Allen. Tout d’abord Le recours aux artifices du cinéma qui lui permettent à la fois d’appuyer son discours et de distancier celui-ci de la réalité pour enfin déplorer que la vie réelle ne lui procure pas comme l’Art de tels artifices. Dans Crimes et délits (1989), le personnage interprété par Martin Landau revient lui aussi assister à une scène familiale de son enfance puis raconte l’assassinat qu’il a commandité en le présentant comme une idée de scénario ; dans Zelig (1983) son personnage explore le temps et s’invite dans des images d’archives (bien avant Forrest Gump) ; La Rose pourpre du Caire (1985) raconte l’histoire d’un acteur traversant l’écran pour rejoindre une spectatrice dont il est amoureux.

Autre élément incontournable : New York, écrin de son joyau cinématographique, Manhattan (1979). Déjà dans Annie Hall, le choix de New York cristallise la conception qu’il se fait de son métier par opposition à Hollywood. C’est l’univers d’Alvy, tandis que la campagne provinciale est celui d’Annie, accentuant le caractère désespéré de leur relation : « La campagne me rend nerveux. Il y a des grillons. Nulle part où aller après dîner. Des paravents qui cachent des cadavres de mites. Il y a la famille Manson[2][2][2]. Il y a Dick et Terry[3][3][3]. ». Pour Alvy, la campagne est le royaume de l’austérité protestante, la négation de la culture, de l’humour, de la psychologie, du second degré. Un climat vicié qui étouffe les faibles et les sensibles. Ainsi, lorsque Duane, le frère d’Annie Hall (inoubliable Christopher Walken à ses débuts), confie ses angoisses à Alvy du fond de sa chambre emplie de pénombre : « En tant qu'artiste, je crois que vous comprendrez. Parfois, lorsque je conduis, la nuit, je vois deux phares qui se dirigent vers moi. Et j'ai cette impulsion soudaine de vouloir tourner le volant en direction de cette voiture. J'anticipe la collision. Le bruit du verre qui explose. Les flammes qui s'élèvent du réservoir d'essence… », celui-ci coupe court à la conversation, comme si le cas de Duane était de toute façon désespéré par le fait même qu’il passera toute sa vie à Chippewa Falls, Wisconsin tandis qu’Alvy, « en tant qu’artiste », a compris qu’il ne devait son salut qu’à New York, sans quoi il serait resté un être taciturne tapi dans une chambre enténébrée.

Bien qu’intellectuellement prise en charge par un new-yorkais, une provinciale comme Annie Hall a tendance à verser dans l’excès inverse et passer directement de la crédulité d’une oie de roman russe à la dépravation dégénérée qui caractérise la dernière partie complémentaire de ce découpage géographique et intellectuel de l’Amérique, encore plus abhorrée sans doute que la campagne : la côte Ouest. Alvy s’est en effet évertué à instruire Annie : il l’a inscrite en lettres à l’université. Initiative funeste : la littérature se révélera tout à fait inapte à susciter quoi que ce soit chez Annie, par contre cette dernière va y découvrir tout un monde de cuistres et de poseurs dans lequel elle va trouver toute sa place : qu’elle s’habille en enfant de chœur à la campagne ou en snob à la ville, la superficialité trouve toujours son chemin et Annie un amant :

Alvy Tu as une liaison avec ton professeur.

Annie Il n'y a rien de sexuel. Il est marié. Il me trouve juste chouette.

Alvy Chouette ? Tu n'as plus douze ans !

Annie C'est une expression de Chippewa Falls.

Alvy Qu'importe ! Après, ça sera « mimi » et « pêchue ». Puis la main aux fesses.

Annie Tu as toujours été hostile envers David.

Alvy Tu appelles ton prof David ?

Annie C'est son prénom.

Alvy Un nom biblique ! Et toi ? Il t'appelle Bethsabée ?

Annie Alvy, c'est toi qui n'as jamais voulu t'engager. Je ne suis pas assez intelligente pour toi.

Leur histoire prend logiquement fin lors d’un déplacement professionnel d’Alvy à Los Angeles. Alvy y retrouve un ancien ami new-yorkais (qui l’appelle Max) et Annie un producteur de disques (Paul Simon de Simon et Garfunkel) pour qui elle va quitter Annie. Ce voyage est l’occasion pour Woody Allen de dépeindre un univers à la fois branché et grossier, aseptisé, vide de sens.


Rob Je n'ai jamais été aussi détendu que depuis que j'ai déménagé ici, Max. J'ai pour voisin Hugh Hefner. Il me laisse utiliser son jacuzzi. Et les femmes ressemblent à celles de Playboy, sauf qu'elles bougent bras et jambes.

Annie Je n'arrive pas à y croire ! Nous sommes à Beverly Hills !

Alvy L'architecture est très homogène. Styles français, espagnol, Tudor, japonais.

Annie Ouah ! C'est super propre.

Alvy Ils ne jettent pas leurs poubelles. Ils les gardent pour la télévision.

Rob Fous-nous la paix, Max. C'est Noël.

Alvy Je n'arrive pas à croire que c'est Noël !

Annie Il neigeait et c'était gris à New York, comme d'habitude.

Alvy Le père Noël va faire une insolation.

Rob Max, il n'y a pas de crimes, pas d'agressions. Il n'y a pas de crimes économiques.

Alvy Mais il y a des meurtres rituels de sectes et des assassins de germes de blé !

[…]

Rob Ton coup de fil m'a surpris, Max.

Alvy Ouais. J'ai eu l'impression de mal tomber. J'entendais des gémissements aigus.

Rob Des jumelles, Max. Seize ans. Imagine toutes les possibilités mathématiques...

Alvy Tu es un acteur, Max. Tu devrais jouer Shakespeare à Central Park.

Rob J'ai déjà donné, Max, et je me suis fait agressé. Je jouais Richard II et deux gars en cuir m'ont braqué mes collants.

[Rob enfile un masque]

Alvy Max, on va traverser une zone de plutonium ?

Rob Ca protège des rayons alpha, Max. Tu restes jeune.

Alvy laisse donc Annie aux mains de Los Angeles.

Alvy Donc... tu ne reviens pas à New York ?

Annie En quoi New York est spéciale ? Ville moribonde. Tu as lu Mort à Venise.

Alvy Tu ne l'avais pas lu avant que je ne te

l'achète.

Annie Alvy, tu es incapable de jouir de la vie. Tu es comme New York. Tu es comme cette île.

Ironie du désespoir, les efforts entrepris par Alvy se retournent contre lui, l’art n’aura été qu’un marchepied muant la stupidité crasse d’Annie en cynisme hautain.

« Tu es comme New York. Tu es comme cette île. » 

Moins polémique qu’Annie Hall à l’encontre de l’Ouest, Manhattan célèbre l’amour de Woody Allen pour sa ville, ses gratte-ciels à la fois puissants et élancés comme la Rhapsody in Blue de George Gershwin et ses avenues palpitantes de mille vies qui se croisent dans les fumées des bouches d’égout. A l’instar d’Intérieurs réalisé l’année précédente, le film bénéficie d’un éclairage et d’une esthétique beaucoup plus travaillés auxquels l’arrivée du chef opérateur Gordon Willis (Le Parrain 1 et 2), surnommé « le prince des ténèbres » dans la profession pour son goût pour la sous-exposition, n’est sans doute pas étrangère. Les premières images du film sont une succession de prises de vue d’un noir et blanc somptueux, sur lesquels la voix off de Woody Allen interprète un écrivain rédigeant le premier chapitre d’un nouveau roman. La première phrase est « Il adorait New York » mais il ne parvient pas à se décider pour « Sa vision de Manhattan était trop romantique, comme tout le reste. L'effervescence de la ville le faisait vibrer. » ou bien pour « Pour lui, c'était une métaphore de la décadence de la culture contemporaine. Difficile de vivre dans une société désensibilisée par la drogue, le bruit, la télévision, le crime, la saleté... ». Une fois encore, à l’intérieur même du film, Allen s’exprime par le prisme d’une autre œuvre d’art, en l’espèce un roman, cette fois pour décrire sa propre incapacité à expliquer le culte qu’il voue pour sa ville, il ne peut choisir un commencement, il ne peut le mettre en mot, il l’aime par tous ses aspects, dans tous ses paradoxes.

Même décor, mêmes acteurs, même histoire d’amour vouée à l’échec que dans Annie Hall, même rôle autobiographique de scénariste de télévision, en revanche Diane Keaton campe à présent Mary, jeune yuppie snob et pédante, éditrice de son état. A mille lieux de la provinciale inculte de Chippewa Falls en apparence, et pourtant tout autant paumée, finalement assez proche dAnnie Hall dernière époque. Woody Allen épingle dans Manhattan ces poseurs new-yorkais pour qui l’art n’est que l’eau de leur moulin à vanités de la même  qu’il épinglait vulgarité des producteurs californiens dans Annie Hall.

Isaac (Woody Allen) sort avec Tracy (Mariel Hemingway), une lycéenne brillante et sensible. Yale (Michael Murphy) leur présente Mary, sa maîtresse, avec laquelle il a fondé « l’Académie des réputations surfaites » dans laquelle ils jettent pêle-mêle Gustav Mahler, Isak Dinesen, Carl Jung, Scott Fitzgerald, Lenny Bruce, Norman Mailer, Heinrich Böll, Vincent van Gogh et Ingmar Bergman. Furieux, Consterné, Isaac leur enjoint d’y ajouter Mozart.

Isaac Bergman ? Bergman est le seul génie dans le monde du cinéma.

Yale C'est un grand fan de Bergman.

Mary Vous êtes son opposé ! Vous écrivez des sketches fabuleux pour la télé. Alors que son approche est tellement scandinave. C'est sinistre. Et tout ce Kierkegaard ! Ce pessimisme pubertaire en vogue. Et ce silence. Le silence de Dieu. OK, j'adorais lorsque j'étais à Radcliffe, mais bon, il faut évoluer. Vous ne voyez donc pas qu'il glorifie les obsessions psychologiques et sexuelles en les alliant à des questions philosophiques grandioses.

Plus tard, seul avec Tracy :

Isaac Quelle plaie cette bonne femme !

Tracy Elle était mal à l'aise.

Isaac Mal à l'aise ? Une despote ! Elle était redoutable ! Une vraie cérébrale. Comment une midinette de Radcliffe se permet-elle de juger Scott Fitzgerald, Gustav Mahler et Heinrich Böll ?

Tracy Pourquoi t'énerves-tu ?

Isaac Parce que j'abhorre ces âneries pseudo-intellectuelles. « Van Goch »! Tu l'as entendue ? Van Goch ! Une prononciation arabe ! Une autre remarque sur Bergman et je lui faisais recracher ses mots.

Tracy Est-elle la maîtresse de Yale ?

Isaac Ca me laisse totalement perplexe. Il a une femme merveilleuse et il préfère fricoter avec cette crétine. Il a toujours eu un faible pour ce genre de femmes, aimant discourir pendant des heures sur la réalité existentielle. Je les imagine assis par terre, avec du vin et du fromage, et parlant de « allégorythme » et de « didacticisme ».

Tracy J'ai l'impression que Yale l'aime bien.

Isaac Moi, je ne crois pas aux aventures extraconjugales. Les gens devraient rester ensemble à vie, comme les pigeons ou les catholiques.

Tracy On n'est peut-être pas fait pour ne vivre qu'une seule histoire. On est peut-être censé vivre plusieurs histoires, de longueurs différentes. Le mariage, c'est démodé.Isaac Ne me dis pas ce qui est démodé ou non. Tu as dix-sept ans. De la génération drogue, télévision et pilule.Pourtant, Isaac va quitter Tracy pour Mary, se laissant séduire par l’aplomb avec lequel elle toise ses contemporains, avant qu’elle ne retourne avec Yale. Mary est finalement aussi superficielle qu’Annie. Et Tracy ? Elle possède cette ingénuité pleine de promesses qu’Annie a gâchée. Ainsi elle emmène Isaac se promener en calèche à Central Park, se laissant aller au plaisir simple d’une distraction qu’il trouvait « tarte ». Comme Alvy, Isaac cherche à l’instruire mais cette fois il n’y croit plus. Erreur une fois de plus : fatigué de Mary et de sa cérébralité qui la conduite à analyser en permanence mais à ne jamais ressentir une œuvre d’art, il reprend son roman :

« Une idée de nouvelle sur les habitants de Manhattan qui, constamment, se créent des problèmes névrotiques inutiles pour éviter d'avoir à répondre à des questions plus terrifiantes et insolubles concernant... l'univers. Le ton doit être optimiste. Très bien. La vie vaut-elle d'être vécue ? Très bonne question. Disons qu'il y a certaines choses qui rendent la vie intéressante. Lesquelles ? OK... pour moi... je dirais... Groucho Marx, pour commencer. Et Willie Mays. Et... le 2ème mouvement de la symphonie Jupiter. Et... la version de Louis Armstrong de Potato Head Blues. Les films suédois, bien sûr. L'Education sentimentale de Flaubert. Marlon Brando, Frank Sinatra. Ces pommes et poires incroyables peintes par Cézanne. Les crabes à Sam Wo's. Le visage de Tracy. »

Comment ne pas mettre en parallèle la liste des académiciens surfaits et cet inventaire ? Le premier est le produit d’une approche froide, analytique, cérébrale de l’art, teintée d’un iconoclasme convenu, lui-même ô combien surfait. Le second est l’humble constat empirique d’émotions sensuelles et l’hommage à ceux qui les ont provoquées. Ainsi Mozart côtoie-t-il un joueur de baseball, des crabes et, comme une évidence, Tracy.

Epilogue

L’année suivante, en 1980, sort Stardust Memories, peut-être le plus film le plus ambitieux mais aussi le plus controversé de sa filmographie, qui divisa tout autant la critique que les fans. Sur la lancée de Annie Hall et Manhattan, Woody Allen et son personnage se confondent mais il a franchi un cap : il n’est plus scénariste pour la télévision mais réalisateur de comédies à succès. Le film raconte les déboires de la célébrité et les embûches que le succès dresse sur son chemin vers la réalisation d’un « vrai » film d’auteur. En laissant totalement de côté la dimension comique, on lui a reproché de se prendre réellement au sérieux. Contrairement à Intérieurs (1978), l’identification du personnage et de l’auteur est ici inévitable et le public fut vexé de voir ce réalisateur aigri lui signifier son mépris pour ceux qui ont aimé ses premiers films. Un malentendu que Woody Allen ne cessera de déplorer. Il faudra alors attendre Hannah et ses sœurs (1986) et Crimes et délits (1989) pour le retrouver dans un rôle de scénariste ou de cinéaste désespéré, mais en personnage secondaire, comme une cerise discrète sur le gâteau de ses comédies.

Jean.

sb


[1] Marshall McLuhan était un sociologue des médias très connu aux Etats-Unis.

[2] Groupe de marginaux, du nom de leur meneur Charles Manson, ayant commis plusieurs assassinats d’une sauvagerie extrême, notamment celui de l’actrice Sharon Tate, au courant de l’été 1969.

[3] Couple de chanteurs country.



8 octobre 2006

Mulholand Drive : la ville des deux cotés du

Mulholand Drive : la ville des deux cotés du miroir.


Le film/pilote de Lynch est une mine. Continuité et rupture à la fois par rapport à ses œuvres précédentes, il a fasciné bien au-delà des fans « traditionnels » qui n’ont pas décroché depuis la réalisation de « Lost Highway ».

Comment, dans une thématique générale sur la ville aux Etats-Unis, ne pas évoquer un film dont l’un des centres est la ville, vécu dans une même unité à la fois comme un rêve et comme un cauchemar. Plus précisément : comme un rêve et la réalité. Les œuvres précédentes évoquaient la ville, mais la trajectoire personnelle de Lynch l’a conduit progressivement vers les gros centres. On sent le choc de la vie citadine dans « Eraserhead », où le bruit de fond industriel berce le mal être d’un personnage qui voit des femmes difformes dans les canalisations de radiateur. « Twin Peaks » scrutait la communauté d’une petite ville de province, prise en tenaille entre les esprits d’une forêt profonde et les turpitudes d’un flic fédéral. On revenait au bourg rural. Le regard s’est baladé largement, tranquillement le long des routes dans Sailor et Lula, et s’est risqué doucement à la ville dans Lost Highway.

Bref, tout cela pour dire que Mulholand Drive pousse la caméra dans les tréfonds de la ville. Pas n’importe quelle ville puisqu’il s’agit d’Hollywood. Une ville qui fait rêver.

L’histoire, elle a été disséquée par des groupes de fans plusieurs dizaines de fois. La conclusion qui s’impose, c’est que certaines pièces du puzzle peuvent être interprétées de plusieurs manières. Normal, puisque plusieurs scènes devaient être replacées dans le contexte de la série (qui ne verra pas le jour malheureusement). Il y a donc un foisonnement de théories sur le rôle de tel personnage, sur la signification de tel indice etc.

Hollywood est montré dans un premier temps comme un rêve, dans le deuxième comme un cauchemar. Or la première partie est un rêve, idyllique, reconstitution idéale de la seconde partie, qui est la réalité, cauchemardesque.

Les éléments que nous apercevrons lors des différents épisodes de la vie réelle (sous forme de flash back surtout) dans la seconde partie aideront à comprendre les mécanismes. Celle qui a perdu dans la vraie vie (Diane) va réussir dans son rêve (Betty). Ceux qui se sont moqués d’elle vont subir un sort implacable, et celle qu’elle aime (et qu’elle n’a pas) dans le réel (Camilla) sera sa petite protégée dans les songes (Rita).

On trouve dans le film le revers de la médaille de l’industrie du cinéma. La ville semble un ensemble inextricable de liens de communication, surtout souterrain, dont l’apparence se manifeste par des coups de téléphone décisifs, qui changent les destinés. La ville ressemble à un complexe de rues assemblées entre elles. Un méandre. Ce qui est apparent n’est pas la réalité, mais juste une apparence de réalité. Le rêve de réussite, semble dire le film, est également une apparence. La réalité est autre.

La critique de l’hypocrisie de la ville se rassemble au moment où le réalisateur ambitieux (celui qui annoncera son mariage avec Camilla) voit son monde s’écrouler autour de lui pour avoir refusé le premier rôle à une inconnue présentée par la mafia. Le cinéma présente une version de la réalité qui a ses propres codes. Mais l’industrie du cinéma fait de même : elle présente un visage d’elle-même qui n’est pourtant pas le reflet de la réalité.

Ainsi donc, clochards, vieux parvenus puritains, prostituées, presse bouton de seconde main, tireur de ficelles mafieux, exécutant… peuplent cette ville de légende avec plus de réalisme que le rêve éveillé de l’héroïne.

Le film est donc construit à travers des jeux de miroirs et de mise en abîme. La sinuosité de la route semble se refléter dans la ville (les destinés elles mêmes peuvent prendre des chemins malheureux) dès les premiers plans du film. Le M de Mulholand Drive, reflété dans la ville, pourrait donner le W du Winkie’s. La villa de rêve perdue dans les sommets, et le bar bien réel au cœur de la ville. L’identité de la brune se fera à travers la vision de Rita Hayworth en Gilda dans un miroir secondaire, ce qui donnera un plan remarquable d’images croisées.

La ville elle aussi joue en play-back.

Alexandre Lucresse

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8 octobre 2006

Blade Runner de Ridley Scott. Avec Harrison Ford,

Blade Runner de Ridley Scott.

Avec Harrison Ford, Sean Young, Rutger Hauer.


Blade Runner est un film qui a une histoire. Réalisé en 1982 par Ridley Scott (qui devra pour cela abandonner un grand projet : « Dune », finalement signé par David Lynch), celui-ci sera d’abord vivement dénoncé à sa sortie par les critiques de l’époque. Le film connaîtra cinq versions successives, et peut être même qu’une sixième verra le jour, attendue des fans pour 2007.

Toutes ces versions résultent en fait d’une guerre de droits d’auteur entre la Warner d’un côté, et Ridley Scott de l’autre. Aujourd’hui, le film a plus que bien résisté au temps, puisque celui-ci continue d’être admiré. Un sondage du quotidien Britannique « The Guardian » auprès des 60 plus grands scientifiques mondiaux l’a même consacré meilleur film de sciences fiction de l’histoire du cinéma[1][1].

Pourtant, le film a été un échec financier, et n’a eu son salut que dans sa redécouverte, à travers la vidéo, par des groupes de fans qui se sont mis à écrire sur ce film aux multiples facettes, qui touche à plusieurs genres, et montre le visage d’un Los Angeles comme une mégalopole labyrinthique, inextricable, inhumaine, démesurée, cimetière des âmes. 

A travers ce film, d’une grande poésie, très touchant, nous nous trouvons aux prises avec plusieurs « problématiques ». A elle seule, l’œuvre traite de la destinée de l’humanité, des rapports entre le progrès scientifique et son utilisation, de la hiérarchie sociale, de l’homme face à l’histoire, à la mort. On peut tout à fait y voir également une parabole sur le rôle du cinéma dans la construction de l’histoire des hommes.

Le film est un croisement tout à fait audacieux puisqu’il associe des techniques et effets spéciaux de pointe pour un film profond, symbolique, contemplatif et poétique (oui, tout cela).

Un bref résumé.

Nous sommes en 2019, dans un monde où la nature a été quasiment éliminée du globe par des guerres radioactives. Une politique volontariste de colonisation de Mars a poussé un grand nombre d’habitants à quitter leur habitation sur terre. En échange, ils reçoivent un robot à apparence humaine. Une révolte de ces « réplicants » leur interdit tout retour sur terre, ce qu’un groupe parviendra pourtant à faire après une mutinerie, dans le but d’échapper à leur mort, puisque leur durée de vie est limitée.

L’histoire du film est donc la lutte entre un flic (Rick Deckard/Harrison Ford) membre d’une unité d’exterminateurs de réplicants, les « Blade Runner », et ces mêmes androïdes, vivant cachés, et cherchant à rencontrer le patron de la plus grande entreprise de fabrication de robots à apparence humaine, Tyrell de la Tyrell Corporation, afin d’y chercher le remède à leur vieillissement accéléré.

Au cours de ses recherches, Deckard va être amené à rencontrer la secrétaire de Tyrell, Rachel, androïde qui s’ignore. Il en tombera profondément amoureux. Les réplicants rebelles, emmenés par leur chef  Roy, iront dans la maison d’un ingénieur travaillant pour la Tyrell Corporation pour mieux rentrer en contact avec son président. C’est dans cet immense immeuble déserté et décrépit que l’ultime bataille se déroulera. Invité à éliminer la dernière des réplicantes, Rachel, Deckard rejoint celle-ci. La dernière image est celle d’un ascenseur se refermant sur une musique angoissante.

Le film est une interprétation assez libre d’un texte (plus précisément : une nouvelle qui inspirera un livre) de Philip K. Dick, « Do Androids dream of electric sheep » (« les androïdes rêvent-ils de moutons électroniques ? », 1968[2][1]). Nous disons bien « assez libre » car le roman s’attache à décrire un personnage marié qui élève… un mouton électronique ! Certains critiques n’apprécieront pas cette libre adaptation (Philippe Manœuvre, dans le numéro 79 de Metal Hurlant, sorti au moment du film, parlera de seconde mort pour l’écrivain). C’est le même auteur qui inspirera un autre long métrage de science fiction, très réussi également : « Minority Report » de Spielberg sorti en 2002.

On pourrait parler longuement de la musique du film, mélange entre bruits de fond et mélodies, composée par Vangelis, qui est décidément un maître en la matière. Les sons rentrent en résonance avec l’immensité et l’impression de désarrois que laisse la ville. Poussant la nostalgie d’une ère que l’on semble regretter à son paroxysme, Vangelis placera quelques solos de saxophone, notamment pour les scènes d’intimité entre Deckard et Rachel, ainsi qu’un titre de crooner des années 40 : « one more kiss, dear ».

La bataille des versions. 


Nous devons nécessairement toucher deux mots des différentes versions, et de la guerre qui se déroulera entre Scott et la Warner. Pour faire simple, on retiendra deux versions : celle de la sortie nationale de 1982, que le grand public a pu voir, et celle de 1992, à l’occasion des 10 ans du film, quand Scott tentera de rétablir sa version originale. Il sera empêché de le faire jusqu’au bout (ultimatum de la Warner), d’où l’intention d’en sortir une version d’auteur finale pour 2007.

Il ne s’agit pas de détails, mais de deux visions du film totalement incompatibles. Lors de la sortie, Harisson Ford est extrêmement populaire auprès des jeunes pour des films comme Star Wars (épisode 4 : 1977, épisode 5 : 1980) ou Indiana Jones (L’arche perdue : 1982). La fin troublante du film où le héros a finalement le choix entre la fuite (son amour), et l’élimination de celle qu’il aime (son devoir), ainsi que le rôle de Ford comme flic looser pousse

la Warner

à retoucher le film, sans d’ailleurs en parler au préalable à Scott. Ford sera un vrai flic humain (pas de doute sur son éventuelle appartenance à la race des réplicants, donc…) et la fin sera une escapade amoureuse entre Rachel et Deckard, avec une forêt en arrière plan. Pour cette fin, la production n’hésitera pas à se servir de rushs inutilisés du film de Kubrick, Shining. Tous les longs plans de la ville, toutes les longueurs contemplatives (qui forment la poésie et la force esthétique du film) seront accompagnés de commentaires par la voix (off) de Ford « expliquant » les scènes aux spectateurs, à qui il faut bien tout expliquer parce que sinon, ils s’ennuient, n’est-ce pas.

Du coup, ce qui faisait la lente beauté du film par des plans d’une grande intensité, laissant le spectateur seul devant l’immensité de la ville, devant l’isolement du héros, sera réduit considérablement. De plus une fin ouverte, libre et angoissante, terriblement sombre, se transformera en conte de fée.

C’est cette version finement découpée à la hache, ainsi que l’hostilité première des critiques, qui feront de Blade Runner un film très vite éliminé des écrans quelques semaines après sa sortie.

La force des hommes étant plus forte que celle des appareils, la beauté de l’œuvre ressurgira grâce à son créateur pour s’imposer comme « la » version connue maintenant de tous comme étant la véritable version.

Le mélange des styles : la science fiction en noire…

A première vue, Blade Runner est un film de science fiction. Cela se passe dans un futur qui n’a quasiment plus rien de commun avec la planète que nous connaissons et les avancées technologiques sont énormes. Des voitures volent dans le ciel, les robots sont semblables aux hommes, sont doués d’intelligence, et surtout, la planète est en crise entre la surpopulation, à la surindustrialisation, en même temps que la pauvreté, les malformations et le chaos règnent.

Ces éléments de science fiction vont être utilisés dans le but de faire un film reprenant une série de codes très caractéristiques du cinéma américain des années 40, appelé le cinéma « noir ».

Noel Simsolo, qui a écrit une bible du cinéma noir dans la collection « Essais » des publications des Cahiers du Cinéma (« Le film noir, vrais et faux cauchemars », 2005) notera à la fin de son livre une référence à Blade Runner, comme montrant l’influence des films noirs américain.

Ce croisement n’est pas du au hasard. Il est volontaire, dans le but de parler de l’avenir sous un angle réaliste et pessimiste.

L’ensemble des éléments est là, et forme la symbiose entre les genres. L’action se déroule dans une mégalopole à la lumière inexistante ou artificielle. La pollution a créé un épais nuage de fumée qui empêche le soleil de briller dans le ciel. Nous avons donc une ville très sombre, immense, et dont les rues sont envahies par la fumée. Cette lumière blafarde en provenance des néons de la ville ou des bureaux des grands buldings, souvent utilisée en contre-jour, sera également très présente dans le Alien du même Ridley Scot, tourné trois ans auparavant. Le grand isolement du vaisseau, l’absence de lumière véritable, les vapeurs : tous ces éléments rapprochent d’ailleurs beaucoup l’ambiance des deux films.

Comme dans les films des années 40, le héros est un flic désabusé, rongé par son passé (si tant est qu’il en ai un), qui vit à la marge, dont les actes de gloire sont tombés en désuétude.

La femme fatale apparaît sous les traits d’une belle androïde, à la grâce éblouissante, de haut standing. D’une grande assurance, elle passera par les étapes classiques de l’enchaînement amoureux et de la fragilité.

Les codes traditionnels sont d’une intensité décuplée. La ville sombre et brumeuse se transforme en temples sans limite plongée dans l’obscurité permanente. Le personnage sera soupçonné de n’être qu’une simple invention, pétri de peur, ne remportant la compétition finale qu’avec la clémence du chef des réplicants à qui l’on ne prêtait aucune âme, aucun sentiment. La femme fatale sera d’une beauté pure et touchante, pour tomber de très haut face à la découverte de sa propre nature « synthétique ». En effet, dans les films noirs traditionnels, la femme fatale se retrouve finalement fragilisée, se montre souvent amoureuse, voir blessée. Ce passage d’un stade d’objet inaccessible à celui d’oiseau blessé est décuplé ici, puisque Rachel va être ramenée à la réalité brutalement, dans un geste quasiment d’agacement de la part d’un Dekard fatigué, lui dévoilant les secrets de son intimité comme étant des implants-souvenirs provenant d’une autre personne (la nièce de Tyrell).

On pourra également noter que la trame de l’histoire rapproche également le film d’un drame, où l’amant devra choisir entre sa mission et son amour, et où la tragédie finale sera suggérée, sans que l’on soit sur qu’elle arrive vraiment (ce qui procure cette sensation de tension très forte à la fin du film, qui semble se prolonger dans le générique).

Si les éléments de science fiction viennent appuyer, décupler un film de genre, on peut également affirmer qu’en retour, les codes du films noirs viennent appuyer un regard sur l’avenir aussi sombre que la place de l’homme pris individuellement parait désespérée pour Ridley Scott. Car le regard porté sur l’avenir est résolument désespéré, et non sans rapport avec le présent.

L’excroissance de la réalité…


A bien y regarder, le monde dépeint dans Blade Runner est en grande partie inspiré de la réalité. Los Angeles a toujours ses quartiers découpés ethniquement (le film débute à China Town). La ville est toujours présentée comme immense, la police y est partout présente. Nous ne sommes pas en face d’une ville profondément aménagée, mais dont les caractères sont poussés à leur paroxysme.

La présence de la police, caractérisée par les bruits de sirène en temps normal dans nos films contemporains, se présente sous la forme de contrôles systématiques (y compris le héros, flic d’élite en quelque sorte, sera importuné par un contrôle de pure routine). Son pouvoir semble sans faille, puisque le supérieur de Deckard, Bryant, obtiendra l’engagement du héros pour une mission de « retrait » (comprendre : élimination des réplicants) en lui indiquant, tout sourire, que celui-ci n’a pas d’autre choix que d’accepter. Cette assurance dans les ordres donnés ira jusqu’à la demande du sacrifice de l’être aimé. 

Puis il faut se pencher sur une contradiction qui pénètre toute la longueur du film : le paradoxe apparant, criant, entre une capitale industrielle, des progrès techniques gigantesques, la promesse d’expansion galactique et… la triste réalité du quotidien des habitants de la planète. On suit le personnage, seul, isolé, dans une foule anonyme, compacte, et surtout, à la fois désenchantée et résolument pauvre. A plusieurs reprises, on voit des panneaux de publicité envahir le ciel, les immenses gratte-ciel, répétant un même message d’invitation à conquérir l’espace en peuplant les colonies de l’espace, El Dorado hypothétique, tant les discours apparaissent irréels face à la misère terrestre. Les progrès, finalement, ne seront montrés que sous l’angle du renforcement des possibilités de contrôle policier et de création d’êtres servant de main d’œuvre largement exploitables (Pris, la belle réplicante, est même une esclave sexuelle, chargée de divertir les troupes militaires des colonies). La réalité matérielle, elle, tranche avec le discours, apparaît d’autant plus désespéré : une fois le clin d’œil de la Geisha visionné, on est confronté à la misère, aux bars sordides.

L’idée que se fait Scott de l’avenir est une version assez froide du monde qui nous entoure : le progrès technique est souvent évoqué, et pourtant, la réalité ne semble que prendre en considération ses aspects les plus régressif. Le développement des maladies, des malformations est la conséquence d’une utilisation belliqueuse des apports des sciences. L’expansion ne se fait que sur la base de la destruction, et si la vie rêvée des colonies de l’espace est utilisée comme slogan publicitaire, le résultat visible est surtout la désertion de certains quartiers laissés à l’abandon. C’est cet élément qui explique qu’à côté de la surpopulation, l’immeuble de JF Sebastien sera entièrement vide, délabré, fuyant de toute part, les décors baroques partant en miettes.

… qui reste la réalité. La dimension réaliste de Blade Runner.


Nous avons dit plus haut que la ville n’avait rien de commun avec la planète que nous connaissons actuellement. Ce n’est que partiellement vrai. A bien y regarder, on a une impression étrange dès le début du film. Alors que les voitures planent dans le ciel, que la ville est immense, on retrouve Deckard aux abords d’une guinguette asiatique, négociant son nombre de sushis avec un commerçant coriace. Avant cela, il lisait son journal devant un magasin de téléviseurs.

L’une des forces du film vient d’un souci extrême du détail et d’une réflexion de Scott, très tatillon sur les décors (beaucoup de récits à ce sujet), qui amènera le réalisateur à vouloir mêler des éléments futuristes à un monde qui ressemble sur certains points au nôtre. Il y a donc dans tout le film, un fourmillement d’objets, d’attitudes, d’habitudes, de métiers, qui nous rappellent un certain quotidien.

Scott fait ici de la dialectique sans le savoir (ou en le sachant, on est pas dans son esprit) : toute civilisation contient et dépasse le stade précédent de l’humanité. Chaque étape est donc la négation de la précédente, mais en même temps, elle ne l’annule pas complètement. Appliquée à la science-fiction, on doit nécessairement retrouver des « restes » de notre époque actuelle. Cet élément maîtrisé, Blade Runner se veut un film cherchant réellement une représentation du futur, et non la simple invention d’un monde dans le futur. Les avancées techniques sont donc à la fois puissantes, tout en restant réalistes. Nous avons donc des publicités pour Coca-Cola, le commissariat ressemble à un commissariat (et pas à un haut lieu de la technologie électronique), on mange des nouilles. L’immeuble de JF Sebastien pourra tout à fait avoir été construit au début du 20ème siècle, dans un style baroque. Plongé dans la pénombre, il donne un accent gothique aux scènes qui s’y déroulent. Los Angeles est restée une ville avec ses quartiers ethniques où l’on parle aussi peu l’anglais qu’aujourd’hui.

On pourrait même réfléchir sur la place de l’industrie. N’est-il pas frappant en effet d’apercevoir une ville immense, dans laquelle il semblerait que l’industrie ait pris une place centrale, mais qu’au cours de l’histoire, il n’y ait aucune trace de cette activité parmi les hommes ? Les personnages sont flics, danseuse dans un bar glauque, généticien et fabricant d’androïdes, vendeurs, un groupe de voleurs de voiture… Pas d’activité en relation avec la production de biens. Le futur est donc le concentré d’une tendance qui s’est dessinée depuis longtemps au Etats-Unis (et dans le monde) : la désindustrialisation au profit d’autres types de marchés…

Le terme d’excroissance de la réalité est donc approprié. La mégalopole du futur imaginée sur la base de ce qui a été édifié nous questionne bien plus sur l’avenir qu’une trilogie de Star Wars qui, tout en étant du très bon cinéma hollywoodien, nous balade dans une irréalité telle que les films ressemblent plus à un conte féerique, alliage de lasers et de chevaliers de la table ronde, que du film d’anticipation.

L’accent réaliste et la fin ambiguë laisse donc un goût étrange, au final…


Les yeux de l’humanité.


Durant tout le film, on a l’impression persistante que le cinéma est mis en abîme. Le rôle du cinéaste dans l’histoire est évoqué à travers l’idée que finalement, la vie d’un homme se résume à sa vision, moins qu’à son rôle. Le héros ne maîtrise rien, et surtout pas sa propre destinée, puisque sa mission va lui être imposée dès le début. Il est noyé dans un flot que rien ne semble contrôler, pas même l’omniprésence de la police dans le labyrinthe de la ville.

La première image est celle de la découverte de la mégalopole, puis immédiatement, celle-ci se reflète dans un œil grand ouvert. Le lien entre le plan large de la ville et l’organe de l’homme dans lequel on aperçoit ce même plan est une indication sur la place du cinéma face aux évènements, à l’histoire. La vie, c’est la possibilité de voir le futur. L’homme n’est finalement qu’une immense accumulation de souvenirs.

Rachel d’ailleurs s’enfuira devant la révélation de son extériorité à l’espèce humaine : ses souvenirs ne sont pas les siens. Elle n’est donc qu’une invention, une disquette formatée pour se souvenir de choses non vécues.

Le cinéma a cette possibilité de fixer les souvenirs mieux que le cerveau, ainsi que de proposer une vision du futur, en inventant le monde de demain. Il est donc le témoin de l’histoire de l’humanité, l’œil de l’humanité.

Le désespoir du chef des réplicants sonnera de manière poétique dans ce sens quand, il dira finalement, avant de s’éteindre :

« J'ai vu des choses que vous autres ne croiriez pas. Des vaisseaux en flammes sur le Baudrier d'Orion. J'ai vu des rayons cosmiques scintiller près de la Porte de Tannhäuser. Tous ces instants seront perdus... dans le temps... comme les larmes... dans la pluie. Il est temps... de mourir. »

Tout semble se déterminer en fonction du regard. L’œil, le symbole de la vie, est l’organe par lequel on peut distinguer l’humain de l’androïde en pratiquant le test de Voight-Kampff. Ce test permet de vérifier le niveau de sensibilité des sujets face aux souvenirs (« parlez moi de votre mère, Léon ») ou face aux animaux (les androïdes n’ont pas de compassion vis-à-vis des animaux, contrairement aux humains).

La mort est assimilée aux souvenirs qui s’évanouissent. Batty, une fois arrivée auprès de son créateur (Tyrell) qui lui expliquera l’inéluctabilité de sa mort, choisira de le tuer, en lui enfonçant ses pouces dans les yeux, sous le regard impassible d’une chouette artificielle. De même, on notera que Léon (le premier des réplicants dans l’ordre d’apparition) cherchera à tuer Deckard (« Réveille toi, c’est l’heure de mourir ») en lui crevant les yeux. Son geste (deux doigts tendus au niveau du regard) sera stoppé par une balle, tirée par Rachel.

La vie c’est la possibilité de voir, d’enregistrer. La mort est la disparition de ces images. D’une certaine manière, le cinéma est un remède contre la mort, contre la disparition des images de l’humanité dans l’oubli. La science fiction vient ici nous rappeler l’importance des souvenirs dans la construction individuelle et collective d’une civilisation.

Des animaux et des hommes.


Un voile ambigu plane sur le film concernant les liens entre les humains et les animaux. Dans le livre, Philippe K. Dick insiste sur l’importance des animaux véritables, leur rareté et leur prix (le livre s’ouvre d’ailleurs sur une dispute concernant l’achat d’un véritable mouton). Cet élément est également soulevé dans le film, quand l’une des réplicante travaillera dans un bar à strip-tease avec un serpent. « c’est un vrai ? » demandera Deckard se faisant passer pour un membre du syndicat des travailleurs du Music Hall. « Bien sûr que non. Je bosserais ici, si je pouvais m'en payer un ? ».

De même, arrivant a la Tyrell Corporation, Deckard demande si le hibou est artificiel : « bien sur qu’il l’est » répondra Rachel.

Cette absence d’animaux véritables sera couplée avec l’apparition d’un grand nombre d’espèces exotiques rares (y compris une Licorne, qui formera le point d’interrogation sur la vraie nature du héros), ainsi que par l’analogie permanente entre les hommes et les animaux : Tyrell est associé à un hibou, Pris se déguisera en raton laveur, Batty hurlera comme un loup à la mort de cette dernière. Le héros est un prédateur, mais se retrouvera finalement dans le rôle de la proie.

L’immensité de la construction humaine, la dégradation sociale, l’absence de nature véritable, tout cela amène à ce que l’homme redevienne à l’état de primate. Le seul signe d’optimisme sera l’envol d’une colombe dans un ciel étonnamment bleu. Cette scène sonnera doublement faux : il est sensé pleuvoir et faire nuit dans cette scène d’une part ; la caméra reviendra immédiatement sur le regard du héros, confronté à sa propre mort d’autre part.


La naissance des sentiments : quels sont les plus humains dans l’histoire ?


En théorie, les androïdes ne connaissent pas les sentiments. Mais la science les a fait a ce point parfait que la compassion semble plus souvent de leurs côtés que de celui des représentants de la race humaine. La froideur est du côté de la foule anonyme, le chef des flics ne laisse pas le choix au héros, et semble heureux de donner les ordres sans possibilité de refus, l’ordre de tuer Rachel est donné de manière implacable (« dommage qu’elle doive mourir, mais c’est notre lot à tous »). L’annonce par Tyrell de l’inéluctabilité de la mort des androïdes est expliquée sans aucune compassion. Bref, tout semble indiquer que les sentiments ne sont pas du côté de ces humains qui ont transformé la terre en enfer et exterminé les animaux.

Au contraire, les robots montrent une grande tristesse (Batty pleure en annonçant la nouvelle de la mort d’une d’entre eux à Léon), un attachement fort à la personne et à la vie. La quête de ces androïdes est leur propre survie, le refus de se considérer eux-mêmes comme des machines programmées. Cette sensibilité face à leur propre sort (quand les humains ne semblent pas soucieux de leur avenir collectif) se ressent dans les propos des réplicants à l’égard de Deckard : « C'est dur de vivre dans la peur, hein ? » (Léon, après la mort de Zora, cherchant à tuer le héros), « Drôle d'expérience que de vivre dans la peur. Pas vrai ? » (Batty, voyant Deckard sur le point de tomber de l’immeuble). Il y a donc ici une volonté de faire partager leur peur face à la mort, de provoquer des sentiments, alors même que les réplicants n’étaient pas censés en développer.

Deux personnages auront un statut un peu particulier dans l’histoire : le héros lui-même, dont on ne sait pas vraiment qui il est (il n’a pas pratiqué le test de Voight-Kampff) et qui hésitera en permanence entre sa mission et ses sentiments. Il montrera également des doutes, voir un certain dégoût quant à son rôle devant sa triste tache. Ce désarroi est palpable lorsque Deckard contemplera le corps de Zora, sous une pluie de neige en polystyrène.

L’autre personnage à montrer ses sentiments, c’est JF Sebastien, cet ingénieur, créateur des Nexus-6 (modèle d’androïdes auxquels appartiennent le groupe des rebelles). L’évocation de sa solitude parmi ses amis robots et la marque d’affection de Pris (un rapide baiser dans le cou pour le convaincre d’aller voir Tyrell en compagnie de Batty) provoqueront des sanglots. Bien qu’humain, plusieurs éléments le rapprochent des Androïdes : son génome a été modifié par une maladie et conséquence de cela, sa durée de vie est extrêmement réduite, puisqu’il vieilli à grande vitesse (comme les Androïdes, bien vu) : paraissant 50 ans, il en a en réalité 25 (syndrome de « Mathusalem »). Si les androïdes sont prisonniers des colonies, lui est prisonnier de la terre puisque refusé lors de la visite médicale quand il voulut se rendre sur Mars.

Les rôles sont systématiquement inversés tout au long du film. L’apprentissage des sentiments par Rachel ira de pair avec la connaissance de sa conception artificielle. Alors qu’elle était présentée comme froide et hautaine durant la période où elle sera persuadée d’être humaine, elle montrera un premier signe de blessure intime lors de la révélation.

La ville qui a dévoré la nature, l’a détruite au lieu de la contrôler a également englouti les sentiments humains. Ces derniers émaneront de la création des hommes. La seule possibilité pour la renaissance de l’humanité semble résider dans ce qu’ont engendré les hommes de plus moderne.

Un conte cruel qui nous renvoie à notre propre présent et à nos responsabilités face au futur.

Quelques influences d’avant et d’après.

Si nous avons évoqué l’influence général du film noir et de ses codes, nous pouvons également nous arrêter sur des similitudes troublantes entre Blade Runner et le film de Fritz Lang : « Metropolis ». Outre qu’il est question là aussi d’une manipulation d’une androïde, la ville rappelle beaucoup celle de Scott. Le découpage horizontal recoupe là aussi un découpage social : les sommets sont réservés aux personnes importantes, socialement aisées, quand les bas fond sont peuplés de pauvres et de malformés. A noter que la fin du film fait écho à cette dissymétrie : la porte de l’ascenseur se referme sur Deckard et Rachel, et l’on ne sait pas s’il monte (vers la fange) ou s’il descend (vers l’espoir d’une vie meilleure). La seule image positive évoque également l’ascension vers le paradis : le vol de la colombe vers un ciel bleu.

Quant à l’après Blade Runner, on peut en apercevoir l’influence dans de nombreux films, dont certains n’en ont pourtant pas la force. Ainsi, on peut déceler des similitudes entre la ville de Scott et celle du film de Luc Besson, le « Cinquième Element » (voitures volantes, immensité des rues, nuages de fumée) ou bien celle de « Dark City » d’Alex Proyas (ruelles sombres, résolument noires et inhumaines), sorti en 1998.

On peut également apercevoir cette influence diffuse dans un manga de Mamoru Oshii, « Ghost in the shell » sorti en 1995. Plusieurs éléments font penser à une influence du film de Scott : la ville et l’ambiance sonore en premier lieu. Puis la thématique du lien entre la vie et la mémoire, avec les manipulations des personnalités, y occupent une grande place. Mais ce dernier aspect peut également se rapporter à l’influence générale de Philippe K. Dick qui a beaucoup traité de la manipulation de la réalité face au rapport entre le réel, concret et objectif, et ce qui résulte de la fiction/manipulation.

A noter qu’un remake version érotique est sorti au Japon sous le titre d’I.K.U., réalisé par Shu Lea Cheang. Sans intérêt, sauf que là, on sait ce qu’il se passe dans l’ascenseur une fois que la porte se referme (inutile de vous faire un origami).

Blade Runner est donc un film riche, très riche, dont le contenu fait encore l’objet d’un combat d’intérêts. Assurément, la version finale, très attendue, pourrait nous apporter une œuvre enrichie, aboutie.

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Alexandre Lucresse

[1] Viennent ensuite : 2001 l’odyssée de l’espace (1968), Star Wars 4 (1977), Star Wars 5 (1980), Alien, le Huitième passager (1979) et… Solaris (1972) ! Notons ici que loin de ne s’intéresser qu’à l’infiniment grand et l’infiniment petit, nos scientifiques ont un goût prononcé pour le cinéma.

[2] que l’on trouve maintenant en librairie sous le titre de « Blade Runner ».



21 août 2006

NUMERO 2

CINESCOPE 2


« Manière de Voir », pour ceux qui ne connaîtraient pas, est une publication bimestrielle du « Monde Diplomatique », le journal préféré des altermondialistes. Son numéro 88 est consacré au « cinéma engagé », avec en une la photo du célèbre film de Ken Loach sur la révolution espagnole (d’autres diront « sur la guerre d’Espagne »), « Land and Freedom ».

Cette revue, bien faite, est un patchwork de contributions thématiques de prof de cinéma, de journalistes, écrivains, etc. On y trouve beaucoup d’informations, des invitations à aller se pencher sur certains films oubliés de l’histoire officielle. On appréciera particulièrement certaines critiques de films traitant du Moyen Orient et de la Palestine, dans une période où les USA imposent un soutien indéfectible à Israël partout dans le monde. C’est donc à lire. Mais comme toute lecture, on se doit de la prendre avec un regard critique, en se disant que finalement, tout est discutable sans a priori ni sacrement.

En effet, on tombe à la page 37 sur un article au titre énigmatique : « «  Apocalypse Now » ou la fuite dans le symbole ». Ce n’est pas au titre, évidemment, que l’on pourrait comprendre de quoi il s’agit. Ni d’ailleurs dans un grand nombre de phrases qui expriment des idées très simples dans un langage volontairement torturé, obscur…

En revanche, l’idée centrale du journaliste du Monde, auteur de l’article, est la suivante : « N’est-ce pas… le vieux mythe de la « guerre propre » qu’on nous ressert ici, assorti d’une invite à l’indulgence, à la compréhension attendrie pour ces officiers d’élite qui, poussés à bout par la traîtrise et à la barbarie de l’ennemi, sont sortis de la légalité ? ». Puisqu’il nous pose la question, nous ne nous priverons pas de la possibilité de lui répondre : non.

Non, Apocalypse Now n’est pas un film sur la guerre propre. Des films qui, au prétexte formel de dénonciation, sont en fait des œuvres de couverture d’une guerre victime de quelques dérapages bien compréhensibles, il y en a des tas, surtout dans le cinéma Hollywoodien actuel. Mais ce que Copola a fait, ce n’est pas ça. Apocalypse now, c’est la fin du voyage, le point d’arrivée après la longue remontée du fleuve. C’est l’aboutissement de la folie, et de la guerre. Car l’embarcation, comportant les militaires partant en mission pour éliminer un général Kurtz transformé en Messie de l’horreur, traverse toutes les étapes de la guerre, où les cadavres deviennent banalités, et le quotidien devient délirant, à la frontière du réel. Si l’on prend la scène (rajoutée dans la version redux du film) de la rencontre des soldats et des playmates, transformées en quasi prostituées, ou l’arrivée en hélicoptère dans le village au début, qui se terminera par un surf sur fond d’incendie, on trouve autant de fascination pour les images que de compréhension de l’impasse folle dans laquelle tout le monde est embarqué. Cette déflagration sordide générale est illustrée magnifiquement du début, dans une chambre d’hôtel, à la mise à mort finale sur fond de sacrifice rituel tribal.

Citant le réalisateur Michel Mardore, Christian Zimmer explique, ou plutôt clôt toute discussion en affirmant : « Tous les films de guerre sont des apologies de la guerre ». Un principe éternel bien malheureux…

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21 août 2006

Opéra et cinéma : divorce à l’italienne Avec

Opéra et cinéma : divorce à l’italienne

Avec l’avènement du parlant, le monde lyrique et le septième art devinrent deux modes d’expression voués à cohabiter. Si le cinéma tente de fixer sur la pellicule une certaine illusion de la vie, l’opéra résiste par essence à ce qui tenterait de le figer. Art total qui fait appel aux différents supports plastiques l’opéra se focalise sur la voix replacée au sein d’un dispositif scénique. Le cinéma n’obéit pas aux codes et conventions de cet art ancestral qui procède souvent de l’excès dans sa peinture des sentiments humains.

La longue histoire de l’opéra remonte à près de quatre siècles alors que le cinéma, art jeune et novateur, tente d’éviter les clichés liés à une tradition éminemment théâtrale. Nous voici donc en présence de deux partis pris a priori antinomiques qui fusionneront toutefois au travers de deux principales approches. Après des tentatives plutôt caricaturales, les cinéastes tenteront soit des films structurés comme des ouvrages lyriques soit des transpositions plus ou moins fidèles d’un opéra donné.

De la scène à l’écran


Le premier opéra filmé prenait déjà comme cible Carmen dès 1915, donc dans une version muette qui nécessitait un accompagnement pianistique. Le recours nécessaire à l’expression outrée produisait encore cette sensation d’assister à un spectacle qui tend à abolir la distance entre la scène et le fin fond de la salle obscure. C’est pourquoi à l’heure du parlant la voix chantée sera souvent doublée pour d’évidentes raisons pratiques. Néanmoins le kitch castafioresque de cette première légion d’opéras filmés en studio frisait le grotesque. A ce titre Clemente Fracassi joue la carte du péplum avec la jeune Sophia Loren qui double la voix « descendue du ciel » de Renata Tebaldi.

Ces transpositions pseudo réalistes relèvent plus du grand guignol que de la quête de l’instant sublime où le timbre d’une voix soudain vous arrache de votre siège.

Cette mutation devra d’abord transiter par la réalisation de films structurés à l’instar d’un opéra avec son déroulement et son espace propres.


Les grandes manœuvres


C’est le metteur en scène de théâtre et d’art lyrique Luchino Visconti qui va redorer le blason du mélodrame au sens noble du terme. Après avoir entamé une carrière à la Scala avec la Callas, l’aristocrate situe l’action de son quatrième film à l’opéra.

Avec Senso en 1953 Visconti joue sur les conventions qui régissent encore le monde de l’opéra avec son lot de contraintes et de prises de risques. Le film s’ouvre à la Fenice (Venise) sur l’Appel aux armes tiré du Trouvère de Verdi qui déclenche les hostilités à l’encontre du parterre d’officiers autrichiens qui occupent à l’époque la Vénétie. Le cinéaste démultiplie les angles de vue de façon vertigineuse allant du poulailler au balcon où la comtesse Livia (bouleversante Alida Vali) va s’éprendre à ses dépends d’un officier fat et veule (Farley Granger). Cette forme de ciné-opéra obéit à la formule de Michel Leiris sur l’opéra où « la musique prend le théâtre pour théâtre d’opérations ». Visconti brocarde un monde figé qui prend la pose comme s’il était voué à durer[1].

Bernardo Bertolucci va explorer cette veine du film historique sur fond d’accents verdiens dès son premier film en 1964 au titre évocateur Prima della rivoluzione.

Mais c’est avec La Stratégie de l’araignée que le cinéaste va concrétiser sa « mise en représentation » d’un lieu – une petite ville italienne dotée d’un opéra – devenu le théâtre d’une usurpation d’identité.

A partir d’un récit de Borges le « cinéaste-poète » (ainsi surnommé par Pasolini) au classicisme avoué dévoile l’envers du décor, à savoir l’image controversée d’un père prétendument résistant. Cette réappropriation de l’espace et de la durée propres aux opéras va connaître avec Pier Paolo Pasolini son détournement le plus singulier avec Médée en 1969. Cette exploration du mythe de la magicienne amoureuse trouve dans l’incarnation de Maria Callas ce point de non-retour où la diva ne chante plus mais déclame à la manière d’une tragédienne. Ce retour aux sources du drame antique signe peut-être la relative impuissance du cinéma à restituer la présence vocale.


Une utopie féconde : le film-opéra

Après ces approches au réalisme poétique de la sphère lyrique, un film clef va relancer la production d’opéras filmés in extenso. Au départ conçu pour la télévision, La Flûte enchantée par Ingmar Bergman en 1975 va rencontrer un large public. Le cinéaste a choisi une distribution idoine quant à l’âge et au physique des protagonistes qui sans détenir des organes phénoménaux chantent en suédois avec le goût et le sentiment juste chers à Mozart. Cette alliance d’une présence physique avec un timbre phonogénique va permettre la prise en charge totale du rôle interprété. Le cinéaste ici n’occulte ni n’estompe les faiblesse du livret et les artifices d’une mise en scène donnée en direct.

La caméra s’immisce dans les coulisses où les artistes se préparent à affronter un public dont les visages sont cadrés en gros plan. On retrouvera fugacement cette impression d’un work in progress avec Carmen de Francesco Rosi (1984) et plus récemment avec Tosca de Benoît Jacquot (2000).

Homme du sud, Rosi filme la nouvelle de Mérimée sur les lieux mêmes de l’action (Séville, Ronda) avec en contrepoint final la mise à mort simultanée du taureau dans les arènes et de la gitane au fond d’un corral attenant. Dès lors le film-opéra va jouir d’une forte popularité grâce à la vision grandiose d’œuvres aux résonances universelles tournées en décors naturels et dans un temps supposé conforme au déroulement de l’action. Ainsi Benoît Jacquot dans Tosca fait alterner des plans en extérieur avec des séances de studio et des images en noir et blanc provenant de la captation de l’enregistrement. Sans doute Losey poussera dans ses derniers retranchements le drame lyrique hors du cercle fermé du théâtre à l’italienne avec la réalisation fastueuse de Don Giovanni (1979). Le séducteur dissolu (Ruggiero Raimondi) promène ses conquêtes le long des villas palladiennes édifiées sur la terre ferme en Vénétie. Ces édifices retrouvent leur vocation première de recréer en extérieur l’illusion du théâtre avec ses volées d’escalier, ses frontons et ses colonnes se reflétant à l’infini le long des canaux.

On sera plus réservé sur les incursions de Franco Zeffirelli qui s’il réussit une bouleversante Traviata (1982) grâce à l’incarnation saisissante de Teresa Stratas, mutile Otello du même Verdi. Et c’est peut-être Comencini qui déçoit le plus avec une vision fleur bleue de La Bohême ici résumée à des images d’Epinal pour le moins lénifiantes. Prenons plutôt le parti des Marx Brothers qui tournent en dérision les us et coutumes de cet art vénérable dans Une nuit à l’opéra car ce n’est pas Diva de Beinex qui pourra nous réconcilier avec la richesse du monde lyrique par la répétition incantatoire d’un air sorti de son contexte. 

Jean-Christophe

[1] Lorsque la Fenice (le phénix) sera ravagée par un incendie criminel les décorateurs visionneront ce film devenu le témoin oculaire de la splendeur de ce lieu mythique qu’il faut alors restaurer à l’identique.

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21 août 2006

« Série Noire » d’Alain Corneau (1979) Avec

« Série Noire » d’Alain Corneau (1979)

Avec Patrick Dewaere, Marie Trintignant, Bernard Blier.

Etrange à double titre. En recherchant ce qu’avait pu écrire les autres avant sur un film aussi fascinant que « Série Noire », je me suis aperçu de deux choses : d’une part que le film est autant porté au pinacle que peu commenté, et d’autre part, que Corneau est le réalisateur du film « Le prince du Pacifique ». Pourquoi étrange ? Car l’on s’aperçoit que les mots manquent pour comprendre les mécanismes de la noirceur française, et que Corneau, avant d’avoir été capable du moins bon, a été capable du meilleur. En effet, on peut dire qu’en terme de noirceur diffuse, « Série Noire » n’a pas d’égal. Bertrand Tavernier ne manque pas d’éloges : « Difficile de trouver les mots, les phrases exactes pour décrire ce que l'on ressent physiquement après Série noire, tant on en sort épuisé, lessivé... Comme si l'on avait réellement participé à tout ce qui vient de se dérouler sur l'écran. Comme si l'on avait vraiment mené avec Patrick Dewaere, en même temps que lui, cette course haletante qui, par son lyrisme du sordide, sa poésie du dérisoire, renvoie directement à la fuite vertigineuse de Richard Widmark dans Les Forbans de la nuit... Mêmes personnages fantomatiques, étrangers à ce qui les entoure, prisonniers de leurs rêves, même angoisse métaphysique. »

Pour comprendre le film (et pousser à aller le voir, le revoir), il faut sans aucun doute évoquer plusieurs éléments qui expliquent en partie les propos de Tavernier : la littérature et le style de Jim Thompson (auteur de « A Hell of a Woman » - traduction française : « des cliques et des cloaques »- dont le film est l’adaptation cinématographique), l’environnement social français, quelques ressorts dramatiques du film, et le rapport entre la caméra et le héro).

Jim Thompson, l’écrivain-scénariste de la noirceur (1906-1977).

Thompson est un auteur de roman noir tout à fait particulier : il n’est pas rattaché à la Hard Boiled School de Hammet et Chandler, qui décrivent des personnages « dur à cuire », qui se font justice eux-mêmes avec des méthodes assez peu académiques, symboles des années 20-30, de sa prohibition, de sa pègre, des règlements de comptes et de l’héritage de l’Amérique sauvage. Non, les œuvres de Thompson sont noires car désespérées, confrontées à une humanité en déperdition. Dans la plupart de ses romans, le personnage central est poussé dans une fuite en avant destructrice, cherchant à se sortir de ses maux avec des remèdes qui engendreront un mal plus grand encore. Les récits sont souvent réalistes car pour une grande partie autos biographiques. Son père était Shérif, et on peut sans mal imaginer qu’il s’est servi de sa mémoire pour écrire « Pop 1280 » (en français : « 1275 âmes » - pourquoi 5 habitants de moins ? Mystère que je n’ai pas encore percé, si quelqu’un connaît la réponse, merci de me la faire parvenir), histoire d’un Shérif d’une petite bourgade des Etats-Unis. Il n’y a donc pas vraiment d’intrigue à proprement parler dans ses livres : nous suivons les déambulations d’un personnage qui s’autodétruit, et sème la mort et la désolation autour de lui. C’est ainsi qu’il est tout à fait caractéristique du roman noir, plus que du roman policier (bien que ces deux catégories soient largement mélangées dans la collection « Série noire » animée par Patrick Raynal, auquel le film fait explicitement référence en reprenant la même typographie que les couvertures des livres). Ce désespoir est alimenté manifestement par un pessimisme social et politique : groom dans un hôtel pendant qu’il faisait ses études, il vendra de l’alcool (nous sommes pendant la prohibition découlant du 19ème amendement de la Constitution de 1919) et de l’héroïne. Il militera trois ans au PCA (parti communiste américain) entre 1935 et 1938. Son attachement à la description des environnements sociaux américains viendra des enseignements marxistes de son grand-père.

Auteur de nouvelles, on retrouve Thompson à la rédaction du scénario d’ « Ultime Razzia » (« The Killing ») de Kubrick. Dans ce film, on retrouve toute la noirceur des personnages chers à l’écrivain, et une fin toute Thompsonienne : à deux pas de la fuite finale et salvatrice, un malheureux évènement fait tout basculer, et une nuée de billets de banque s’envole, pendant que la police se rapproche des protagonistes. Anecdote : Kubrick ne sera pas fair-play vis-à-vis de Thompson alors relégué au rang de rédacteur des « dialogues additionnels ». L’histoire se règlera quand le réalisateur lui proposera le scénario des « Sentiers de la gloire » (« Paths of Glory »). Si Kubrick est un réalisateur de génie, il est évident que la noirceur sociale et fascinante  de Thompson sera pour beaucoup dans le rendu des deux films.

Plus tard, notamment après la mort de l’écrivain (crises cardiaques successives, couplées à l’alcool), ses romans seront adaptés au cinéma par plusieurs réalisateurs, dont un certain nombre de français (« Pop. 1280 », « Coup de torchon », « Les arnaqueurs »).

Pourquoi parler autant de Thompson pour présenter « Série Noire » ? Tout simplement car l’œuvre de Corneau est à la fois très librement adaptée à la France des années 70, et en même temps, liée dans un très grand nombre de détails au roman.

Coup de maître de Corneau.

« Qui dit noir-polar dit d'abord : radiographie sociale, rapports de force, et non pas analyse psychologique et sentimentale (du genre de celles qui se démodent tous les 5 ans). Noir-polar c'est aussi le gouffre. » (Corneau). Le gouffre, c’est précisément la direction des histoires de Thompson.

Toute la force de « Série Noire », c’est d’avoir mis sur pellicule le noir littéraire dans du bleu-blanc-rouge. Tout d’abord, il faut rappeler que le parcours d’un réalisateur explique sa manière de filmer. Or Corneau n’a pas toujours été Corneau. Avec Bertrand Tavernier, il était à ses débuts militants d’une organisation politique trotskiste : l’OCI. L’anecdote n’est pas sans importance, car « Série Noire » s’attache à montrer la France à la fin des années 70 d’un point de vue social : fin des années de reconstruction sous autorité américaine (Nixon déclare la guerre économique en 1971), l’espoir de la victoire de la gauche, le désespoir des luttes qui n’aboutissent pas, le malaise social.

Dès le début, le cadre est posé. Le cadre, c’est tout autant le personnage central (Franck Pourpart - Patrick Dewaere, brillant !) que ce qui l’entoure. Nous sommes sur un terrain vague jouxtant des immeubles HLM, il pleut, il fait sombre, le ciel gronde, et là, Franck se fait son film à lui. Il s’imagine aux prises avec des gangsters, se bagarre et finit par danser sur un air de Jazz (Tizol, compagnon d'Ellington, à la trompette). On le sent bien : le personnage est paumé, dans un endroit paumé, sous des auspices qui annoncent le pire. Corneau reprend donc à son compte les relents désespérés du roman, en l’adaptant à l’environnement social de l’hexagone, pour en faire un vrai film noir français, qui n’a pas grand-chose à voir avec le film noir américain à proprement parler, découlant pour l’essentiel des auteurs de la « Hard Boiled School » susmentionnée. Le décor ne changera pas vraiment tout au long du film: il fait toujours gris, froid, Franck se réfugie souvent sur un terrain vague. L’amour entre lui et Mona se résumera à quelques échanges physiques désarticulés, disharmonieux, bref ratés.

On se délecte de toutes ces scènes ou le mal-être transpire, ou tout semble glauque.

Franck est représentant pour un quincaillier. Les affaires marchent mal, son couple va mal. Une rencontre avec Mona (Marie Trintignant dans son tout premier rôle), jeune fille de 17 ans prostituée par sa vieille tante dans une maison lugubre de banlieue. Les personnages sont à l’abandon. Or Franck va se lancer dans un plan hasardeux : prendre le magot de la tante, partir loin, très loin, avec la jeune Mona. Ca, c’est le scénario, le film qu’il se fait lui-même. Mais la réalité le rattrapera, pour un dénouement différent du livre, plus sombre car plus réaliste, et bouclant le cycle de désenchantement.

Pour accentuer au maximum les traits noirs du film, les faire surgir de manière saillante (mais sans en faire trop), Corneau utilise beaucoup la musique. Outre la légèreté du jazz du début sur fond de banlieues (utilisé également à la fin), Corneau fait ressortir le désespoir et les rêves perdus dans la maison conjugale en y mettant une radio diffusant une musique enjouée.

Deux exemples :

* La rencontre avec Mona. Franck le représentant cherche un mauvais payeur et se voit proposer par l’ancienne employeuse de ce dernier un drôle de marché : une robe de chambre contre une passe avec une charmante nièce aperçue à la fenêtre. Dans la chambre de la jeune fille, rien que la misère et une radio qui crache le tube de Gloria Lasso : « Prends ma main,  Car je suis étranger ici, Perdu dans le pays bleu, Etranger au paradis, Et je sais qu'en chemin, Le danger dans un paradis, C'est de rencontrer un ange, Et qu'il vous sourie ». Fausse mélodie du bonheur qui annonce la course dans l’impasse.

* Puis Franck, rentre d’une journée sombre, où il a découvert qu’une vieille dame pouvait prostituer sa nièce de 17 ans. La maison est dans un désordre innommable. Sa femme est allongée sur un lit, feuillette une revue féminine au milieu du désordre. En fond, Cloclo chante : « Dites lui que je suis comme elle, Que j'aime toujours les chansons, Qui parlent d'amour et d'hirondelles, De chagrins, de vent et de frissons. Dites lui que je pense à elle, Quand on me parle de magnolias… ».

L’utilisation de tubes enjoués et romantiques est tout à fait bien sentie, on est plongé littéralement dans cette mise en relief de la souffrance et de la désespérance. Sans doute quelque part, le film est rassurant quant à nos propres turpitudes.

Le spectateur impliqué.

Comme Bertrand Tavernier, nous avons bien l’impression de vivre les évènements en même temps qu’ils se déroulent devant nous sur l’écran. Contrairement aux films policiers où le récit se place du point de vue de la victime ou du policier, ici, on est attaché au tueur. Corneau nous le montre compréhensif, la main sur le cœur, confronté à la débrouille du quotidien pour assurer sa survie. D’une certaine manière, les évènements sont agencés de telle manière qu’on se dit qu’il n’y avait que cette solution là, même si elle ne mène finalement à rien, à une fuite en avant sans espoir.

Hitchcock avait utilisé ce procédé ambigu dans « Psychose » au moment où Anthony Perkins regarde la voiture de sa victime s’enfoncer dans la vase. Quand elle se bloque à moitié, notre sentiment premier est de partager l’angoisse visible sur le visage du tueur : il faut que la voiture s’enfonce complètement. Cela est d’autant plus déroutant que l’on change de point de vue en cours de film, l’héroïne du départ s’étant faite assassiner lors de la célèbre scène sous la douche.

Dans « Série Noire », nous allons compatir avec celui qui fait le mal autour de lui. Pris au piège, nous allons avoir un sentiment de solidarité et d’attachement qui nous impliquera dans la combine, le meurtre, la traque par l’entourage.

C’est donc ce mélange d’auto destruction et de solidarité face aux choix du personnage qui rend le film si intimiste et renforce le sentiment de proximité avec celui qui est, au final, l’assassin de l’histoire.

Un épiphénomène.

On peut dire qu’il y a eu un style policier français, mais le film noir est avant tout américain. L’importation de Thompson et de sa petite boutique des noirceurs est à classer un peu à part. Les autres films policiers de Corneau (« Police Python 357 », « La menace », « Le choix des armes ») sont biens moins bons, et seul Melville parviendra à réaliser quelques chefs d’œuvres français dans ce style. On pourra également se délecter d'un « Ascenseur pour l’échafaud » de Louis Malle, dont les scènes d’errances nocturnes sous solo de Miles Davis sont magnifiques. Si ces quelques films sont très réussis (et « Série Noire » est le meilleur d’entre eux) on ne peut pas à proprement parler d’un style « film noir à la française ».

Cela fait du film de Corneau une réussite à part et de ce point de vue, d’autant plus remarquable. Une fois le film vu, on a des difficultés à comprendre la suite du parcours individuel qui conduira le réalisateur à ses films de la dernière décennie…

Alexandre Lucresse

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21 août 2006

Un homme un vrai. Premier long métrage d’Arnaud

Un homme un vrai.

Premier long métrage d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu.

Un travail d’orfèvre. Un seul visionnage de ce chef d’œuvre n’est pas suffisant, tant les détails abondent, que tout semble agencé de manière minutieuse, sans pour autant avoir des plans rugueux. Le film sort en 2003, soit trois ans après la sortie du moyen métrage des mêmes frères Larrieu, « La Brèche de Roland ». On pourrait un peu le comparer à un point d’orgue de la mini nouvelle vague des années 90[1].

Le film se déroule en trois temps : une rencontre, une séparation, et des retrouvailles. Chacun de ces épisodes est séparé de cinq années. Ce sont ces étapes qui permettront à Boris (Matthieu Amalric, qui semble jouer son propre rôle) de devenir un homme, un vrai, et à Marilyn (Hélène Filière, resplendissante de sincérité) d’être pleinement une femme. Le tout articulé comme un ballet, une valse.

Cette œuvre est une totale réussite. Les scènes retranscrivent parfaitement les différentes étapes d’un couple : le trouble suscité par la rencontre amoureuse, les sentiments humains exaltés de l’amour, l’envie de conquête et de voyage, la routine et le malaise social prenant le dessus, la déchirure, la plénitude retrouvée. Les frères Larrieu, peut être comme personne, sont arrivés à nous renvoyer à nos propres sentiments, ceux des personnages de l’écran. Ce qui fait de cette œuvre un moment de rare intimité. Car l’ensemble brille moins par une illumination éclatante, un rayonnement esthétique, que par la douce lumière tamisée, diffuse, épurée, de plans qui nous renvoient une image de nos propres sensations.

Le ballet du trouble amoureux.

Si, paradoxalement, le cadre d’ensemble est très généraliste et l’œuvre si intime, c’est que tout semble avoir été réalisé dans le souci du détail. Prenons un exemple, un seul, qui n’altèrera en rien l’envie de savourer le film en entier : la scène du trouble amoureux. La scène se passe dans un espace réduit (l’appartement de Marilyne), mais concentre, rassemble dans un laps de temps assez court les étapes de sentiments successifs intenses : l’approche, le trouble, puis l’absence de l’être aimé, et enfin, l’amour, l’exaltation et l’étreinte.

Marilyn attend donc Boris qu’elle vient rencontrer dans son entreprise. Celui-ci cherche à réaliser des films, sans grande réussite pour le moment. Elle répète devant sa glace le scénario idéal. Lui timide, elle distante. Mais au moment où elle joue la scène où Boris défait sa robe pour lui permettre d’enlever son soutien gorge (car la robe se porte « les seins nus »), ce dernier apparaît. Le trouble, sous une adaptation pour piano et violon de Carmen :

«  - Je suis peut être un peu en avance » (Boris, devant Marilyne, oubliant sa nudité).

« - vous êtes venu ? Vous avez eu mon message ? Je vous ai prévenu si tard j’ai… j’avais peur que vous ne puissiez pas vous libérer

- Euh j‘arrive les mains vides

- Mais tant mieux. Enfin, je veux dire, je voulais tellement vous reparler de votre merveilleux film. J’y ai repensé tout l’après midi.

- Je suis le premier ?

- Non, fait-elle d’un air désolé, puis se reprenant : oui, enfin je veux dire… Se souvenant qu’elle est nue : pardon. Vous m’aidez ?

- c’est une robe… c’est une robe en…

- oui j’ai pensé que…

- en réalité, je… »

L’ambiguïté des propos tenus par rapport à la situation se retrouvera quelques minutes plus tard, alors que Boris a disparu. Marilyn le cherche partout et lance à Jean Claude (cadre de l’entreprise, futur éconduit qui l’ignore, amoureux d’un soir, victime née du malentendu et du trouble) qui lui demande s’il n’est pas en retard : « pas du trou, rentre donc Jean Claude ». A peine audible, les dialogues fourmillent du début à la fin d’ambiguïté et de jeux de mots, tout en subtilité.

Les sentiments poussant vers le mysticisme.

Cette ambiance magique, que l’on ressent à chaque grande étape de notre propre vie, est plongée dans des plans très soi gnés. Il y a même parfois une pointe de mysticisme abstrait.  Quand par exemple Mathieu Amalric regarde vers l’horizon d’un bleu sombre parfait, au bord d’une piscine turquoise, on ne peut s’empêcher de penser à notre propre volonté de conquête d’absolu et de réflexion sur nos propres vies.

Mais l’agencement des trois temps s’y prête également. On commence dans l’ombre d’un appartement le soir, puis sous le soleil, face à l’immensité de la mer, pour finir dans les hautes montagnes des Pyrénées, dans les sommets. Est-ce d’ailleurs un hasard si la scène finale d’amour retrouvé se déroule dans un aéroport ?

La recherche d’absolu, la recherche permanente de sa place sociale, prend une allure de quête, qu’il ne trouvera qu’en se rapprochant du ciel, puisqu’il ne s’épanouira qu’en devenant guide de haute montagne, un guide plein d’assurance et de charme. Cette quête finira lorsque, confronté à la mort, il sera poussé vers la vie, vers la reconquête de celle qu’il n’a jamais cessé d’aimer.

Pour l’anecdote, le final se fera en musique, sans play-back : Philippe Katerine, compositeur de la musique, est derrière une porte, guitare à la main.

Un film, un vrai.

Pour finir, si l’on devait résumer le film, il s’agit d’amour, d’une très belle histoire, et les frères Larrieu nous la servent avec humour et passion, partant d’un naturalisme détaillé, mais mis en scène dans un mouvement harmonieux.

Ce film montre que le cinéma de jeunes auteurs talentueux réserve encore de riches trésors inexplorés, et qu’un thème éculé peut nous apparaître nouveau tellement il entre en résonance avec nos propres sentiments et nos propres doutes.

Le film, s’il n’a pas eu le succès que l’on pouvait espérer pour une œuvre réussie et accessible, est donc à voir, revoir et à faire découvrir.

Alexandre Lucresse

[1] Voir à ce sujet l’article de Laurent « Le jeune cinéma français des années 90 », cinescope n°0.

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21 août 2006

Le courrier des lecteurs. En réaction à l’article

Le courrier des lecteurs.

En réaction à l’article sur David Lynch :

Merci d’avoir mis en ligne votre bulletin, sinon je ne sais pas comment on l'aurait lu...


Comme tu le dis en préambule, écrire sur Lynch, c'est souvent "au mieux un point d’appui pour susciter l’envie d’aller le découvrir". Ton essai remplit très bien cette fonction, et de manière assez originale, car c'est bien la première fois que je vois quelqu'un mettre en avant : "Lynch est avant tout un naturaliste".


Cet aspect est très souvent jugé comme mineur, et ce n'est jamais ce à quoi on pense en premier quand on veut présenter Lynch à un novice ! Je trouve donc ton approche très intéressante, et très saine (Lynch étant trop souvent présenté comme quelqu'un de pas vraiment sain, ce qui est un cliché qui ne résiste pas à l'analyse...).


Dans ce paragraphe, juste une remarque à propos de cette phrase : "Un certain nombre de réalisateur ont montré l’Amérique profonde comme nécessairement violente, raciste, réactionnaire, acculturé. Lynch, avec ce film, nous montre le vrai visage de la ruralité" => est-ce LE vrai visage de la ruralité ? Non, c'est un AUTRE visage de la ruralité, et à c'est tout à l'honneur de Lynch de le montrer, car en effet, un des aspects trop souvent montrés est bien le côté inculte, raciste et violent de l'Amérique profonde. Mais ce visage existe aussi. L'Amérique est vaste et ses campagnes ne sont pas toutes semblables.


Autre point n'ayant rien à voir, je regrette que tu introduises des spoilers qui m'auraient personnellement fortement irrité si je n'avais pas vu Eraserhead et Twin Peaks (le feuilleton). Il faudrait au moins les signaler, mais le mieux, dans ce genre d'essai de présentation, est de les proscrire totalement, non ?


Enfin, il y a une affirmation qui m'interpelle : "Il y a finalement assez peu de livres qui lui sont consacrés". Cela me paraît erroné. Même si on se cantonne aux livres sur Lynch parus en français, c'est un des cinéastes sur lequel il y a le plus de livres disponibles. Il faut monter jusqu'à Kubrick pour trouver autant ou plus de livres sur un cinéaste ! Par contre il est vrai que le web, c'est sans comparaison...


Ce sont des broutilles, mais je suppose que ce sont les détails qui t'intéressent, et pas juste un "sympa, ton article ! merci"


Sur ce, belle vie à Cinéscope !

Sébastien

Voici une réponse qui n’engage que l’auteur de l’article :

Salut. Tout d’abord, merci d’avoir pris le temps de faire quelques remarques, en effet toujours plus intéressantes qu’un simple « salut c’est sympa ».

Tout d’abord, sur les fautes en effet, cela demanderait une relecture attentive, car on en oublie quelques unes parfois (parfois souvent, soyons honnête).

Je partage ton point de vue sur la sous estimation du soucis de Lynch de retranscrire la réalité. Cela est du à mon avis à un effet d’optique : sa façon très avant gardiste de filmer empêche parfois de saisir cela. D’ailleurs, l’article ne va pas assez loin dans ce sens.

Sur la ruralité, je comprends ce que tu veux te dire. Mais j’estime pour ma part que la plupart des auteurs qui ont traité le sujet, westerns exclus (découlant de la conquête de l’ouest et qui fait parti de la fondation de la nation américaine), nous ont montré une ruralité nécessairement réactionnaire. Non point que cela n’existe pas (certes), mais que dans le même temps, d’autres aspects ont été totalement ignorés. Peut être qu’Alvine est profond réac sur certains sujets. Peut être que la plupart des personnes qu’il croise auraient une vision des problèmes mondiaux assez éloignée de ce que l’on peut considérer comme la civilisation. Il n’empêche, ces mêmes personnages sont capables d’une grande solidarité quand ils sont confrontés à des problèmes concrets. Le pragmatisme y est profondément ancré.

Mais tout cela peut se discuter. Je ne pense pas qu’il y ai deux ruralités, mais il y a comme dans chaque chose, une dualité. Celle-ci peut se rassembler dans un même ensemble. Les oppositions sont bien le moteur de l’histoire non ?

Je suppose que ce que tu appelles « spoilers » c’est le fait d’annoncer une partie du scénario ? Je plaide coupable avec préméditation pour trois raisons : j’ai choisi de parler de certaines scènes pour illustrer le propos, mais en faisant attention de ne pas dévoiler tout le mystère ; ensuite, le scénario n’est pas le centre (à mon avis) du cinéma de Lynch ; enfin, notre article s’adresse surtout à des gens qui aiment et qui connaissent un peu le cinéma. Nous devons être lus par 300 personnes. A ce stade, nous cherchons le contact avec des cinéphiles pour qui Lynch est quand même connu. Mais promis, dans le prochain, on ne dira pas la fin d'Inland Empire.

Sur les livres, je nuancerais ce que tu dis. J’estime qu’il y a peu de livre sur Lynch pour plusieurs raisons. Si l’on compare la richesse de ses œuvres (je ne dis pas la quantité) et le volume de l’engouement des amateurs, il me semble qu’il y a peu de choses. Ensuite, il n’y a rien de formidable. Je ne prétends pas faire mieux, mais je ne suis pas critique de film. Mais le livre de Chion est à mon avis soit un peu superficiel, soit pas franchement convaincant. Quand celui-ci compare les cheminées du générique de Twin Peaks à un symbole phallique (« Les fumées des usines sont donc pour Lynch un symbole phallique de production »), je suis sceptique. J’ai un peu l’impression que l’auteur balance parfois ce qui lui passe par la tête avec le vague sentiment que "ça peut coller". L’exemple des fumées est le seul qui me vient, mais j’avais eu un peu ce sentiment tout au long du livre. J’avais parcouru le livre sur Lost Highway, le purgatoire des sens. Je ne sais pas à qui s’adressait l’auteur, mais j’ai trouvé ça très pompeux, prétentieux, avec des analogies discutables. Je n’ai eu la chance de lire le numéro d’éclipse, ça pèserait peut être dans mon jugement.

Les seuls trucs que j’ai appréciés finalement, ce sont les articles parus dans la presse, courts, synthétiques, souvent avec des idées intéressantes et des vraies infos.

Je pense donc que le livre sur l’œuvre de Lynch reste à écrire.

J’espère que ma réponse permettra que l’on continue la discussion. Par ailleurs, n’hésite pas à me faire part de tes réactions concernant les autres articles.

Amitiés.

Alexandre Lucresse.

Bonjour,

Excusez-moi pour cette réponse tardive.

J'ai parcouru votre n°0 de Cinescope avec plaisir. Simple regret, la mise en page n'est pas très accrocheuse.

En effet, les sujets et les développements sont intéressants, mais une relecture plus attentive serait bénéfique (quelques fautes d'orthographe) pour donner une meilleure cohérence à ce bulletin.

Encore bravo, bon courage à vous pour la suite, n'hésitez pas à nous tenir au courant.

Par ailleurs, nous avions nous aussi lancé il y a quelques temps un n°0 de "Caméra-Stylo" (http://vanisback.free.fr/larevueducinema/formulairecamerastylo.html), peut-être pourrions nous envisager une collaboration par la suite.

Amicalement,

Vanessa Bonnefont

Pas d'accord (sur l’article « théorème » de Pasolini).

Pour moi, théorème illustre l'irruption du désir physique (et de la vie! ) dans une société qui l'a rejeté. Une fois touché par cela chaque protagoniste pourra se réfugier dans l'échappatoire qu'il trouvera (religion, ascèse, art) la morsure du désir ne les quittera plus.

Ce film (comme l'évangile selon saint Mathieu) est donc pour moi brutalement anti religieux, l'église catholique n'a rien compris on en a l'habitude (elle soutient bien Mauriac qui n'a eu de cesse de se moquer d'elle).


Pour Pasolini le désir physique devient donc le début et a fin, le sens de la vie. Ce thème sera évidemment rebattu dans tout le reste de sa filmo.


Mais on a là un premier film, et c'est ce qui est le plus frustrant, Pasolini passe a coté de son sujet par peur de la censure. Cette peur le quittera plus tard pour réaliser Salo. Cependant théorème reste à tout jamais un film incomplet, un grand film mort né.


Yann

Y'a un côté "donneur de leçons" typique des Cahiers (je parle de ceux d'aujourd'hui - enfin d'il y a deux-trois ans, je les lis plus maintenant) qui me gêne un peu, d'autant que la syntaxe, l'orthographe voire même la pertinence (je ne vois pas ce que le texte sur American History X apporte par rapport à ce qui avait été dit à l'époque) ne sont pas toujours au rendez-vous... L'effort est appréciable, mais pour se démarquer de la quantité faramineuse de tentatives du même style, il faudrait éviter de tomber en trois lignes dans une "posture" un peu pénible ("Jeunet gros nase, Grandrieux génie", je l'ai entendu pendant toutes mes années d'étudiant chez des gens qui ne savaient pas ce que l'expression mise en scène voulait dire...).
Si vous voulez avoir une chance de toucher un certain public (je dis bien si, y'en a qui se contentent de l'onanisme intellectuel), il faut peut-être plus ouvrir que s'inscrire d'emblée dans le péremptoire et dans le jugement définitif un peu hautain (en cela, je surenchéris sur la remarque du rédacteur de filmdeculte)... M'enfin, c'est mon avis, faites-en ce que vous en voulez

Ed (forum Dvdclassik) 

Bonjour,
Pas mal dans l'ensemble, sauf l'intro et la critique sur American History X. qui sont un peu trop faciles et relâchés à mon goût.

Cordialement, Kevin

25 juillet 2006

NUMERO 1

CINESCOPE 1

Le numéro 0 est donc sorti, et a rencontré un succès que nous n’attendions pas. Pas du point de vue quantitatif : nous n’avons pas de site Internet, pas de moyen de diffusion large. Par contre, de nombreux lecteurs nous ont fait part de leurs remarques, de leurs encouragements ou de leurs critiques par rapport à ce que nous écrivions. C’est tant mieux.

Nous voulions simplement contribuer à aider à la défense du cinéma comme forme artistique, qui, comme n’importe laquelle de ces formes, ne s’épanoui pleinement que quand elle est indépendante, dégagée des tutelles. Certes, cela est illusoire dans le contexte général que nous connaissons. Mais toute l’histoire du cinéma montre que tout n’a pas été détruit, qu’il reste la recherche permanente des auteurs pour trouver les moyens de s’exprimer ; tout peut être reconquis sur la base de ce qui a été accompli auparavant.

Le cinéma est lié à son époque. La notre est devant un choix crucial : la barbarie ou la défense de l’humanité et de ses bases matérielles. De l’issue de cette grande bataille dépend l’avenir du cinéma d’auteur. 

Alors, Eisenstein ou Besson ?

SOMMAIRE 

Lynch : l’aller sans retour.

Billet critique : The Descent.

Théorème de Pasolini.

Le courrier des lecteurs.

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