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21 août 2006

Un homme un vrai. Premier long métrage d’Arnaud

Un homme un vrai.

Premier long métrage d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu.

Un travail d’orfèvre. Un seul visionnage de ce chef d’œuvre n’est pas suffisant, tant les détails abondent, que tout semble agencé de manière minutieuse, sans pour autant avoir des plans rugueux. Le film sort en 2003, soit trois ans après la sortie du moyen métrage des mêmes frères Larrieu, « La Brèche de Roland ». On pourrait un peu le comparer à un point d’orgue de la mini nouvelle vague des années 90[1].

Le film se déroule en trois temps : une rencontre, une séparation, et des retrouvailles. Chacun de ces épisodes est séparé de cinq années. Ce sont ces étapes qui permettront à Boris (Matthieu Amalric, qui semble jouer son propre rôle) de devenir un homme, un vrai, et à Marilyn (Hélène Filière, resplendissante de sincérité) d’être pleinement une femme. Le tout articulé comme un ballet, une valse.

Cette œuvre est une totale réussite. Les scènes retranscrivent parfaitement les différentes étapes d’un couple : le trouble suscité par la rencontre amoureuse, les sentiments humains exaltés de l’amour, l’envie de conquête et de voyage, la routine et le malaise social prenant le dessus, la déchirure, la plénitude retrouvée. Les frères Larrieu, peut être comme personne, sont arrivés à nous renvoyer à nos propres sentiments, ceux des personnages de l’écran. Ce qui fait de cette œuvre un moment de rare intimité. Car l’ensemble brille moins par une illumination éclatante, un rayonnement esthétique, que par la douce lumière tamisée, diffuse, épurée, de plans qui nous renvoient une image de nos propres sensations.

Le ballet du trouble amoureux.

Si, paradoxalement, le cadre d’ensemble est très généraliste et l’œuvre si intime, c’est que tout semble avoir été réalisé dans le souci du détail. Prenons un exemple, un seul, qui n’altèrera en rien l’envie de savourer le film en entier : la scène du trouble amoureux. La scène se passe dans un espace réduit (l’appartement de Marilyne), mais concentre, rassemble dans un laps de temps assez court les étapes de sentiments successifs intenses : l’approche, le trouble, puis l’absence de l’être aimé, et enfin, l’amour, l’exaltation et l’étreinte.

Marilyn attend donc Boris qu’elle vient rencontrer dans son entreprise. Celui-ci cherche à réaliser des films, sans grande réussite pour le moment. Elle répète devant sa glace le scénario idéal. Lui timide, elle distante. Mais au moment où elle joue la scène où Boris défait sa robe pour lui permettre d’enlever son soutien gorge (car la robe se porte « les seins nus »), ce dernier apparaît. Le trouble, sous une adaptation pour piano et violon de Carmen :

«  - Je suis peut être un peu en avance » (Boris, devant Marilyne, oubliant sa nudité).

« - vous êtes venu ? Vous avez eu mon message ? Je vous ai prévenu si tard j’ai… j’avais peur que vous ne puissiez pas vous libérer

- Euh j‘arrive les mains vides

- Mais tant mieux. Enfin, je veux dire, je voulais tellement vous reparler de votre merveilleux film. J’y ai repensé tout l’après midi.

- Je suis le premier ?

- Non, fait-elle d’un air désolé, puis se reprenant : oui, enfin je veux dire… Se souvenant qu’elle est nue : pardon. Vous m’aidez ?

- c’est une robe… c’est une robe en…

- oui j’ai pensé que…

- en réalité, je… »

L’ambiguïté des propos tenus par rapport à la situation se retrouvera quelques minutes plus tard, alors que Boris a disparu. Marilyn le cherche partout et lance à Jean Claude (cadre de l’entreprise, futur éconduit qui l’ignore, amoureux d’un soir, victime née du malentendu et du trouble) qui lui demande s’il n’est pas en retard : « pas du trou, rentre donc Jean Claude ». A peine audible, les dialogues fourmillent du début à la fin d’ambiguïté et de jeux de mots, tout en subtilité.

Les sentiments poussant vers le mysticisme.

Cette ambiance magique, que l’on ressent à chaque grande étape de notre propre vie, est plongée dans des plans très soi gnés. Il y a même parfois une pointe de mysticisme abstrait.  Quand par exemple Mathieu Amalric regarde vers l’horizon d’un bleu sombre parfait, au bord d’une piscine turquoise, on ne peut s’empêcher de penser à notre propre volonté de conquête d’absolu et de réflexion sur nos propres vies.

Mais l’agencement des trois temps s’y prête également. On commence dans l’ombre d’un appartement le soir, puis sous le soleil, face à l’immensité de la mer, pour finir dans les hautes montagnes des Pyrénées, dans les sommets. Est-ce d’ailleurs un hasard si la scène finale d’amour retrouvé se déroule dans un aéroport ?

La recherche d’absolu, la recherche permanente de sa place sociale, prend une allure de quête, qu’il ne trouvera qu’en se rapprochant du ciel, puisqu’il ne s’épanouira qu’en devenant guide de haute montagne, un guide plein d’assurance et de charme. Cette quête finira lorsque, confronté à la mort, il sera poussé vers la vie, vers la reconquête de celle qu’il n’a jamais cessé d’aimer.

Pour l’anecdote, le final se fera en musique, sans play-back : Philippe Katerine, compositeur de la musique, est derrière une porte, guitare à la main.

Un film, un vrai.

Pour finir, si l’on devait résumer le film, il s’agit d’amour, d’une très belle histoire, et les frères Larrieu nous la servent avec humour et passion, partant d’un naturalisme détaillé, mais mis en scène dans un mouvement harmonieux.

Ce film montre que le cinéma de jeunes auteurs talentueux réserve encore de riches trésors inexplorés, et qu’un thème éculé peut nous apparaître nouveau tellement il entre en résonance avec nos propres sentiments et nos propres doutes.

Le film, s’il n’a pas eu le succès que l’on pouvait espérer pour une œuvre réussie et accessible, est donc à voir, revoir et à faire découvrir.

Alexandre Lucresse

[1] Voir à ce sujet l’article de Laurent « Le jeune cinéma français des années 90 », cinescope n°0.

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